Les migrants sans titre de séjour sont nombreux dans les secteurs qui font tourner l’économie, en cette période de coronavirus.
(Nathalie Birchem – La Croix – 4 mai 2020)
Appelons-le Djbril. Tous les jours, accroché derrière un camion poubelle, il collecte les ordures ménagères des habitants de l’Essonne. Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, ce jeune intérimaire malien, arrivé en France en 2018, est particulièrement demandé. « Les salariés embauchés ont pris des jours des congés depuis la maladie, alors nous, les intérimaires, on a beaucoup de travail, explique-t-il. Et dans mon équipe, on est une majorité à ne pas avoir de papiers. »
Comme Djibril, qui travaille sous une fausse identité, les migrants sans titre de séjour sont particulièrement nombreux dans ce qui s’est révélé être des activités essentielles pour le pays, de l’agriculture à l’agroalimentaire, en passant par la propreté, la logistique, le gardiennage, etc. Or, estime Marilyne Poulain, qui pilote le Collectif migrants à la CGT, « les employeurs les utilisent comme des variables d’ajustement ».
« Dans la restauration ou le bâtiment, à l’arrêt durant le confinement, un grand nombre de travailleurs sans papiers se retrouvent sans salaire, poursuit-elle. Mais dans beaucoup de secteurs, ils sont au contraire en première ligne. »« Dans la livraison à vélo, on est tous micro-entrepreneurs et un certain nombre d’entre nous ont bénéficié de l’aide de l’État et se sont arrêtés. Du coup, en ce moment, les plus précaires, et en particulier les sans-papiers, sont surreprésentés », explique Arthur Hay, secrétaire général CGT des coursiers de Gironde.
Souvent, ces travailleurs supplétifs, qui ne peuvent recourir au droit du travail, ne sont pas récompensés de leurs efforts. « Ce mois-ci, on n’a pas été payés pour toutes nos heures », assure Djibril. « Chez les coursiers à vélo, il existe un tas de gens qui sous-louent leur compte à des sans-papiers. Il est fréquent qu’ils ne paient pas ce qu’ils doivent ou disparaissent au moment de payer », ajoute Arthur Hay.
Sous-payés, ces invisibles sont aussi souvent sous-protégés. « Les deux premières semaines, on n’avait ni masques ni gants, maintenant on a des masques mais pas assez pour les changer toutes les heures », confirme Djibril. « Il y a dix jours, on a eu un accident du travail sur un chantier, raconte Marilyne Poulain, à la CGT. Le patron n’avait pas le droit de faire travailler des salariés, mais il a fait venir des sans-papiers qui dormaient sur place. L’un a reçu une machine sur la tête et s’est retrouvé dans le coma. »
« Il faut reconnaître la place essentielle de ces travailleurs dans les activités indispensables, et leur donner des droits qui leur permettent de sortir de la marginalité », estime de son côté Frédéric Sève, secrétaire national CFDT. Ce dernier a signé un appel à régulariser les travailleurs sans papiers avec Marilyne Poulain, ainsi que Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de solidarité et Pascal Brice, ex-patron de l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides